Comment la trilogie Bourne a révolutionné le genre en obligeant James Bond à entrer au XXIe siècle.
La Mémoire dans la Peau, La Mort dans la Peau et La Vengeance dans la Peau (The Bourne Identity, The Bourne Supremacy, The Bourne Ultimatum) sont trois films librement adaptés des romans éponymes de Robert Ludlum. L'histoire originale se déroule dans les années 70-80, et les scénaristes des films ont réussi un travail extraordinaire en plaçant l'action dans un monde post-11 septembre.
The Bourne Ultimatum
Le point de départ du film La Mémoire dans la Peau est identique au livre : un homme blessé par balles est découvert par un bateau de pêche en Méditerranée, il se révèle être amnésique. De fil en aiguille, il retrouve des bribes de son passé, qui le décrivent comme un assassin...
De là, le roman et le scénario du film divergent considérablement, le film occultant notamment l'implication du héros dans la guerre du Viet-Nam (en même temps, le héros du film ayant 5 à 10 ans dans les années 70, cela aurait été dur de l'intégrer à l'histoire...). Dans le roman, Jason Bourne est une création de la CIA, un faux tueur à gages revendiquant les faits d'autres assassins pour débusquer un terroriste international appelé Carlos le chacal. Dans le film, Jason Bourne est un agent de la CIA appartenant à une branche secrète menant des opérations illégales pour le compte des Etats-Unis.
Adapter fidèlement le roman en un film du XXIe siècle n'aurait pas eu un tel impact, la plupart des actions des personnages et des scènes semblant absurdes dans un monde de téléphones portables, de satellites, et d'Internet. L'histoire a donc été réaménagée: d'une intrigue consistant à réhabiliter l'homme derrière l'identité du tueur Jason Bourne auprès de la CIA (qui le considère avoir déserté et devenu un vrai tueur), on passe à la fuite en avant d'un homme voulant retrouver son passé - aussi effrayant soit-il - poursuivi par cette même CIA qui, voyant en lui un agent illégal perdu dans la nature, veut à tout prix l'éliminer.
La trilogie Bourne aurait pu être un énième film d'action bourré d'explosions et de fusillades. Mais les scénaristes ont choisi de prendre une approche très réaliste et moderne. On suit les tribulations d'un agent secret super-entraîné, mais pas dans le sens James Bond avec des pouvoirs quasi-divins, comme tirer avec une précision impossible ou affronter des hordes d'individus à mains nues et s'en sortir sans une égratignure.
Non. Jason Bourne est un personnage plausible du XXIe siècle. Il a un entraînement sans failles, il analyse les situations, la géographie et les lieux de façon méthodique et pragmatique pour en tirer les meilleurs avantages. Il ne s'engage pas dans des situations impossibles, il se bat au corps à corps en combat singulier en utilisant tout ce qui lui tombe sous la main pour avoir le dessus (le stylo dans la main... aïe). Il est aussi rompu à l'utilisation des technologies de pointe pour mener à bien ses objectifs. Il sait qu'il n'est pas immortel, il n'a pas l'appui et le soutien d'organismes gouvernementaux, il fait avec les éléments du quotidien. Jason Bourne est un personnage "réel".
Du coup, la concurrence a dû réagir. James Bond, devenu au fil du temps une caricature d'agent secret (toute la planète le connait), bardé de gadgets aussi divers qu'improbables, a d'abord imité Bourne, dans Casino Royale. Bond aussi est devenu plus physique, il saute comme un yamakasi, il se bat comme un chiffonnier, il se débat pour se sortir de son monde de science-fiction pour revenir à un monde d'espionnage ancré dans le réel.
Aussi réussi qu'était Casino Royale, il reste trop sous l'influence de Bourne pour s'en émanciper totalement. Et à force de vouloir émuler le réalisme de Bourne, les scénaristes de Bond ont raté Quantum of Solace, où les enjeux trop actuels et réalistes sont finalement devenus creux et futiles pour un personnage de l'envergure de Bond...
C'est seulement avec Skyfall que 007 a fini par retrouver la place qu'il mérite. James Bond y redevient l'agent secret gentleman raffiné qu'il est, tout en gardant le côté brut qu'il a acquis dans Casino Royale. Ses missions cadrent dans le contexte géopolitique actuel, il doit défendre le MI6 et le Royaume-Uni de menaces terroristes. Il descend de son piédestal de super-héros, il n'affronte plus des armées à lui tout seul. Il sait qu'il vieillit. Les nouvelles technologies le rebutent. Ses combats sont plus personnels. James Bond est redevenu un personnage crédible.
Voilà comment Jason Bourne a bousculé, changé, et finalement sauvé James Bond.
Bande-annonce de La Vengeance dans la Peau.
Bande-annonce de Skyfall.
Originellement publié sur l'intranet de ma glorieuse association, mais c'est bête de restreindre cet excellent article. ;)